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Quand j'étais petit, mon conte préféré était Le Petit Poucet, sans que je sache bien pourquoi parce que quand on
est petit, on n'analyse pas vraiment: pas de débat après le film, on préfère rejouer certaines scènes avec plein
de variations iconoclastes pour remettre l'artiste en question, c'est jugé plus enrichissant.
Pour les contes, on était plus discrets : ils se passaient dans des pays lointains, ils nous étaient racontés par
papa ou maman dans le creux du lit, c'était intime, quand on les lisait soi-même en remuant les lèvres, on les
livrait pas plus aux autres : ça n'intéresse personne de savoir que Le Petit Poucet m'a donné un exemple trés
utile, j'ai pas envie qu'ils sachent que j'ai besoin de l'exemple du Petit Poucet pour calmer mon angoisse de la
vie. Y'a que moi qui suis angoissé comme ça, et y'a que moi qui vais chercher des leçons cachées dans un conte.
Tous les autres disent : "Ouais, je l'ai lu, le conte, ouais, ça passe le temps, mais c'est un peu des trucs de
fille...", c'est tout ce qu'ils y trouvent, tant mieux pour eux, alors comme j'ai un peu honte, je dis la même
chose, je montre pas ma béquille, y'a que moi qui en ai besoin.
Le Petit Poucet : "Ma béquille? Oui, mon truc disons? Voilà : si tu es paumé, dans la dèche, si tu glisses et
perds pied (carambar, gitanes maïs, coke que sais-je?), tu arriveras toujours à retrouver le chemin de ta maison,
là où tu es en sûreté, en obéissant à quelques petites règles toutes simples, je sais pas pour toi, mais moi, ce
que je fais je sème des cailloux mine de rien derrière moi (oui, OK, ça va, je me suis fait avoir une fois avec
les morceaux de pain, marre-toi couillon, jamais deux de toute façon), personne me voit faire et après, j'ai qu'à
les suivre... J'ai plein d'autres petits trucs comme ça, ça m'a servi jusqu'à l'âge du tilleul-menthe au coucher,
mais lis ma bio, succès fou c'est réédité en poche, tu veux quoi encore, l'ISBN?".
La maman d'Anna avait dû lui dire : "Si tu as peur de quelquechose dans la vie, fais lui peur!". La maman d'Anna
est morte, Anna vit avec ses grands-parents, des monstres viennent assaillir Anna quand elle doit sortir dans la
nuit, quand elle se promène dans la forêt, jusqu'à quand elle vient sur la tombe de sa mère! Anna devrait sucrer
les fraises depuis longtemps, mais elle a son sac de trucs, notre Petite Poucette.
Les monstres d'Anna me font penser au monstre du film "La Chose D'Un Autre Monde" de Howard Hawks : terrifiant au
début, mais dés qu'on se concerte un peu, qu'on garde son sang-froid, qu'on trouve un truc pour lui résister et
qu'on s'affole pas...
Je me demande comment Anna va vieillir, quand elle va devenir femme, comment elle va se comporter avec les
hommes, tout ça... Ouais, aimerais pas trop tomber sur elle, moi, encore une emmerdeuse...
Jean-Louis Sauger (mai 06)
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